Facture électronique : des normes pour harmoniser les pratiques

La facture électronique, sujet de demain ? Pas vraiment ! Reculons rapidement dans le temps : depuis janvier 2021, les entreprises transmettent déjà les factures destinées à leurs clients publics par voie électronique, en utilisant le portail Chorus Pro. Cette pratique va bientôt être étendue à l’ensemble des opérations entre entreprises assujetties à la TVA et établies en France. Objectif affiché par l’Etat : lutter contre la fraude fiscale. En principe, c’était pour juillet 2024, mais au creux de l’été 2023, le gouvernement a annoncé un report. La date d’entrée en vigueur définitive est fixée au mois de septembre 2026, avec un calendrier échelonné.
Dans un premier temps, toutes les entreprises auront l’obligation de réceptionner leurs factures sous forme électronique, quand seules les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et grandes entreprises devront émettre des factures électroniques. À partir de septembre 2027, cette règle sera étendue aux PME, TPE et micro-entreprises : tout le pays émettra des factures électroniques, et rien que des factures électroniques. Ou, pour être très précis, des flux de données (lire l’encadré ci-dessous).
E-reporting : les logiciels de caisse en première ligne
La facturation électronique n’est qu’un des deux volets de la réforme voulue par Bercy. Le deuxième, l’e-reporting (en écho à e-invoicing, le terme anglais de la facturation électronique), couvre un périmètre plus large, en traitant non seulement des transactions entre professionnels à l’intérieur du pays, mais aussi des transactions avec les particuliers et des transactions avec des entreprises étrangères. Dans ce cas de figure, les entreprises doivent transmettre à l’administration fiscale des données de transaction et de paiement qui ne figurent pas dans une facture électronique.
Si bien que l’e-reporting finit par impacter la certification NF « Logiciel de gestion d’encaissement » , dite aussi NF 525, et reconnue comme référence en matière de conformité fiscale et d’inaltérabilité des logiciels de caisse. La NF 203 sur les logiciels est également impactée, pour la partie B2B. La réforme concerne au premier chef les éditeurs de logiciels, reconnaît François Warcollier, directeur général d’Infocert, organisme mandaté par AFNOR Certification pour délivrer ces estampilles NF. Elle supprimera les factures bilatérales pour les remplacer par des flux de données transmis dans une architecture qui permet de les partager à la DGFIP. Les normes NF préexistantes sont donc en train d’évoluer pour s’adapter à la situation. Tous les éditeurs de logiciels doivent s’intéresser au sujet dès à présent, enjoint François Warcollier. Nous sommes là pour les aider à s’adapter, afin qu’ils puissent garantir une continuité de service à toutes les entreprises utilisatrices.
Le cas des PDP, les plateformes de dématérialisation partenaires
Ces factures électroniques – à ne pas confondre avec une facture sous forme de fichier PDF envoyé par email – devront être déposées sur une plateforme qui assurera la transmission de l’émetteur au destinataire : les fameuses PDP, « plateformes de dématérialisation partenaires », accréditées par l’administration fiscale. Chaque entreprise devra choisir une ou plusieurs PDP, pour l’émission et/ou la réception de ses factures électroniques, parmi un éventail de 90 PDP à ce jour (juin 2025), en appliquant des critères variés : spécialisation sectorielle, type de services fournis, tarifs, etc. Toutes les PDP sont certifiées ISO 27001 et auditées en particulier sur la sécurité des données. Et toutes doivent être interopérables – la normalisation est passée par là !
Mais attention… Ne vous précipitez pas pour choisir une PDP, conseille Sandrine Hilaire, consultante chez Bestways Consulting et vice-présidente de la commission de normalisation d’AFNOR sur la facture électronique, où siègent de nombreuses parties prenantes du domaine. Quand il s’agit de passer du papier au numérique, on a toujours deux approches possibles : on peut y voir soit une contrainte, soit une opportunité, expose-t-elle. Quel que soit votre tempérament, une chose est certaine, ce virage vous demande de remettre à plat une partie de vos processus. Savez-vous combien vous coûte l’émission d’une facture, à l’heure actuelle, contrôles et relances compris ? Savez-vous combien de données il est obligatoire d’y porter ? (Spoiler : c’est un nombre à deux chiffres). Savez-vous avec combien de taux de TVA votre comptable jongle au quotidien ? La réforme permettra d’améliorer sensiblement votre pilotage et votre reporting.
Norme Z12-014 : les cas d’usage soupesés un par un
En matière de facturation, il existe plusieurs dizaines de cas particuliers. Avec des spécificités sectorielles, bien sûr. C’est le cas par exemple dans le BTP, le transport, l’agriculture, les médias ou l’immobilier. Mais aussi une multiplicité de cas d’usage : la sous-traitance, l’affacturage, les notes de frais, la multi-livraison, les factures mensuelles, l’auto-facturation, les acomptes de TVA… Ou encore, les factures multi-vendeurs ou encore les cartes-cadeaux.
Et c’est là qu’intervient la normalisation volontaire : pour faire entrer tous ces cas d’usage dans la réforme. Nous donnons le cadre général à respecter et nous invitons l’écosystème à coconstruire les modalités, explique Sébastien Rabineau pour la DGFIP, une direction centrale du ministère de l’Economie et des finances, chef d’orchestre de la réforme en France. Fédérés par l’AFNOR, les professionnels transcrivent dans les normes volontaires les meilleures pratiques existantes. C’est un acte de confiance de la part de l’État.
L’approche normative part, comme toujours, des réalités de terrain, et notamment des spécificités françaises en matière de facturation , ajoute Cyrille Sautereau, président du forum national de la facture électronique (260 membres), fondateur d’Admarel et président de la commission de normalisation AFNOR précédemment citée. Nous avons veillé à ne laisser personne sur le bord de la route, tout en tirant les entreprises vers le haut. Tout d’abord, il s’agit d’expliquer comment les données habituellement présentes dans les factures peuvent trouver leur place dans la norme. Mais il s’agit aussi parfois d’enrichir le modèle pour adresser certaines spécificités. Par exemple, utiliser des sous-lignes pour détailler un produit composite comme un livre-jouet, ou montrer des sous-totaux.
Il ajoute : Notre travail consiste en grande partie à passer en revue les besoins spécifiques, à les partager pour que chacun puisse prendre conscience de leur ressemblance et ainsi appliquer le principe “aux mêmes problèmes, les mêmes solutions”. La norme XP Z12-014 reste ainsi au plus près des standards européens, tout en embrassant le quotidien des entreprises. Cette norme volontaire, pour l’instant expérimentale (d’où le préfixe « XP , en attendant NF ) est tout fraîchement publiée dans la collection AFNOR ici . Elle fait suite à deux premières normes de mai 2025, elles aussi XP, libellées Z12-012 et Z12-13 . Celles-ci portent respectivement sur les formats et profils des messages de factures et les statuts de cycle de vie, et sur les API pour interfacer les systèmes d’information des entreprises avec les PDP.
Au moins trois bénéfices secondaires
Une TPE émet en moyenne 125 factures par an et en reçoit 250. Les offres de services de PDP se situent entre des offres freemium, c’est-à-dire gratuites pour un périmètre restreint, puis payantes pour des options additionnelles, ou des offres en complément d’un service existant (solutions de gestion, service bancaire, expert-comptable). Cela conduit à des prix allant de quelques euros par mois à quelques dizaines pour des packs de services les plus complets intégrant des automatisations, de la validation, du paiement, du reporting opérationnel, etc.
Parmi les bénéfices secondaires de la réforme (mais ils ne sont pas accessoires !), Cyrille Sautereau évoque aussi les plateformes fournisseurs des grandes entreprises, imposées à tous leurs petits fournisseurs pour déposer leurs factures, avec un parcours utilisateur qui a parfois de quoi rendre nerveux. La facturation électronique va éviter aux entreprises de faire le tour des différents portails imposés par les grands comptes et elle réduira de fait leur charge administrative , confirme Sébastien Rabineau, à la DGFIP. L’État, lui, va engranger des données de qualité qui permettront de mieux estimer la santé d’un secteur d’activité, ou d’un territoire. Dans la même veine, une autre obligation liée à la réforme (l’e-reporting, lire encadré) est encore en discussion, mais s’annonce bien plus dense que la facturation électronique. Les groupes de travail normatifs planchent sur le sujet également. A rapprocher du sujet aussi, parce qu’il est question de traçabilité et d’interopérabilité : les normes propres au passeport numérique des produits (DPP, lire ici) et celles du langage universel de la logistique, objet d’une réflexion en cours à AFNOR avec Geodis (groupe SNCF).
Dernier point, et non des moindres : la réduction de la fraude à la TVA, toile de fond de la réforme. L’Italie a un temps d’avance sur la France : la facture électronique y est obligatoire depuis 2019. Cette année-là, la mesure a généré environ 3,5 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires, dont environ 2 milliards d’euros provenant de paiements volontaires de la part des contribuables. Selon le rapport 2023 de la Commission européenne sur l’écart de TVA, l’Italie a enregistré une diminution de 10,7 % (soit environ 12,7 milliards d’euros) de cet écart entre 2020 et 2021.