Devoir de vigilance : prenez les devants avec l’ISO 20400

La directive sur le devoir de vigilance, dite CS3D, est à son tour victime du détricotage réglementaire à l’œuvre en Europe dans le domaine de la RSE, au nom de la compétitivité et de la simplification. Pourtant, des risques bien réels pèsent sur les donneurs d’ordres peu vigilants. Heureusement, la norme volontaire ISO 20400 est là pour les aider à gérer ceux liés aux achats et aux fournisseurs.

Écoutez cet article :
Temps de lecture : 8 minutes

Comme un électrochoc. Le 24 avril 2013 à Dacca, le Rana Plaza s’effondre tel un château de cartes au cœur de la capitale du Bangladesh. La catastrophe fait plus de 1 100 morts et jette une lumière crue sur les ravages de la fast fashion. Car dans cet immeuble mal entretenu et surélevé de quatre étages sans autorisation, des milliers de travailleurs sous-payés confectionnaient chaque jour des vêtements pour le compte de nombreuses marques, notamment occidentales.

Bruno Frel

Bruno Frel

Le drame a provoqué une prise de conscience rapide et a pointé la nécessité, pour les donneurs d’ordre, de se pencher sur leur chaîne de sous-traitance, rappelle Bruno Frel, spécialiste des achats responsables pour le groupe AFNOR. En France, une loi de 2017 oblige les grandes entreprises à se doter d’un plan de réduction des risques et engage leur responsabilité civile en cas de manquement. L’Union européenne suivra avec une directive similaire en 2024 : la CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive).

CS3D : une directive pour les très grandes entreprises

Mais d’omnibus en omnibus (le nom donné à la procédure de renégociation, en une fois, de plusieurs textes de loi), le retour en arrière qui s’opère dans l’UE depuis 2024 sur les sujets de la transition écologique et de la RSE menace ce principe vertueux : comme pour la CSRD, la directive-sœur sur le reporting de durabilité, les échéances et les seuils d’assujetissement de la directive sont en passe d’être assouplis. Fin juin 2025, une nouvelle proposition est apparue pour réserver les mesures aux entreprises de plus de 5 000 salariés (au lieu de 1 000 initialement) et réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 1,5 milliard d’euros (au lieu de 450 millions). Leur vigilance sera limitée aux seuls fournisseurs directs.

Un non-sens et un manque de vision, estime Stéphane Brabant, avocat d’affaires spécialiste de ces questions et ancien expert auprès de John Ruggie, représentant spécial de Kofi Annan (Pacte mondial et Principes Directeurs des Nations-Unies). Ce recul est le fruit à la fois d’une mauvaise interprétation et communication sur le sujet et d’une influence d’un courant venant des États-Unis, agacés par l’extraterritorialité, et qui cherchent aussi à affaiblir l’Union européenne, analyse-t-il. Mais partout dans le monde, en Chine et en Amérique latine notamment, les Etats se dotent de réglementations de reporting ESG ou de vigilance similaires ! Le devoir de vigilance n’est rien d’autre qu’une obligation de moyens au cas par cas, avec un retour sur investissement assuré pour les entreprises, qui soignent leur profitabilité tout en respectant la dignité humaine. Une chaîne de fournisseurs bien traités contribue au développement des pays concernés et, in fine, créé de nouveaux marchés pour l’entreprise.

La lutte contre le greenwashing elle aussi affaiblie

En juin 2025, une nouvelle brique du Pacte vert européen subit les foudres des partisans d’un détricotage réglementaire : le projet de directive Green Claims. Ce texte imaginé en 2023 aurait interdit aux fabricants de produits d’apposer sur l’étiquette des mentions vagues et non vérifiées comme « bon pour l’environnement », « neutre en carbone », etc. Des allégations trompeuses, déjà cibles d’une directive du 28 février 2024 sur l’information donnée au consommateur. Green Claims posait comme principe le recours à un organisme tiers certificateur ou vérificateur, comme AFNOR Certification, pour crédibiliser les allégations. Le texte est donc en voie d’abandon.

S’affranchir du devoir de vigilance : un pari (très) risqué

 D’autant qu’alléger la loi ne supprime pas le risque, pointe Vincent Leroux Lefebvre, autre expert des achats responsables chez AFNOR. En termes d’image, se trouver associé à un scandale comme celui du Rana Plaza est désastreux pour les entreprises impliquées. Face à des consommateurs de plus en plus engagés, il existe un risque de boycott, estimé à 30 % du chiffre d’affaires en moins pendant plusieurs années. Et il existe un autre danger : du côté des investisseurs.  Ils peuvent se retirer brusquement en cas de scandale, avec des cours de bourse qui s’effondrent instantanément, poursuit Vincent Leroux Lefebvre. Enfin, il reste la question de l’éthique. Pour le dire autrement : accepte-t-on l’esclavage pour produire nos biens de consommation ? Sur ce point, le cadre légal n’a pas changé. En Europe, la réglementation autorise les douanes à saisir les produits suspects, avec un risque économique majeur pour l’entreprise.

Bien que les dernières péripéties bruxelloises, initiées par l’Allemagne, tendent vers une limitation des obligations en matière de devoir de vigilance, les entreprises ne peuvent donc pas éluder le sujet. C’est ici que la normalisation prend le relais. Pour les guider dans leur démarche, elles peuvent en effet s’appuyer sur l’ISO 20400 , une norme volontaire non certifiable, dédiée aux achats responsables. Un véritable guide pour améliorer sa chaîne de sous-traitance et progresser sur la durée.

La norme volontaire, un outil de performance

Tout commence par une cartographie des risques, pour bien cerner son écosystème et ses priorités.  Pour des achats d’intérim, par exemple, il faudra s’assurer des pratiques de son prestataire en matière de non-discrimination à l’embauche, de formation, de santé et sécurité au travail, de précarité, etc., illustre Bruno Frel chez AFNOR. En revanche, les enjeux environnementaux seront ici secondaires ! Des ruches sur le toit ne résolvent en rien les risques précis de cette situation. La cartographie permet de se concentrer sur l’essentiel, sans se disperser. 

La norme ISO 20400 contribue aussi à structurer sa démarche pour agir dans l’intérêt de l’entreprise. Suivre la méthodologie proposée montre, par exemple, que l’approche la plus économique n’est pas toujours la plus pertinente à long terme. Ainsi, des pneus moins chers à l’achat peuvent générer des surconsommations notoires de carburant sur l’ensemble de leur cycle de vie.  La norme aide à se poser toutes ces questions, à analyser et à prendre les meilleures décisions pour l’entreprise et pour ses parties prenantes. Souvent dans un esprit de bon sens, estime Bruno Frel.

Pour aider les acteurs économiques à appréhender ces enjeux, le groupe AFNOR dispense des formations, apporte des conseils et réalise des études de cas avec un objectif : se saisir de la norme et l’utiliser à bon escient, en maîtrisant les risques. Un outil robuste qui participe à la performance et à la résilience de l’entreprise !



-